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14 décembre 2011 3 14 /12 /décembre /2011 15:06

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Chapitre 8

 

 

 

Bruno était attablé à la terrasse du café depuis presqu’une heure. Il était fébrile en attendant Jenny et, bien qu’heureux de la revoir, il ne pouvait s’empêcher de ressentir de l’appréhension. Cette relation lui paraissait sans avenir puisqu’il aimait sa femme et n’avait pas l’intention de mettre en péril son ménage. C’est pourtant ce qu’il était en train de faire ! Il devait rompre cette liaison à tout prix sans blesser pour autant Jenny. Il li expliquerait sa situation et elle comprendrait sans doute. Mais si elle s’accrochait ? Il ne se sentirait pas la force de lui résister.

 

Il aperçut Jenny débouchant du coin de la rue. Il fut étonné de la voir dans sa tenue de motard, le casque sous le bras. Qu’est-ce que cela volait dire ? Mais au fait, où s’était-elle changée la dernière fois ? Il ne s’était pas posé la question. Le visage fermé, elle s’assit en face de lui, sans même l’embrasser, lui lançant un simple bonjour.

 

-       Qu’est-ce qui se passe, ça ne va pas, tu as des ennuis ? 

-       Non, tout va bien. 

-      Je ne peux pas le croire, ton attitude est glaciale, pour ne pas dire hostile. Tu ne m’as même pas embrassé ! Je ne te reconnais plus ? qu’est que j’ai fait pour de déplaire à ce point. 

-        Rien. Je suis simplement venue te prier de me donner cinq mille euros. 

-       Tu as besoin d’argent ? 

-       Non, mais je veux que tu me donnes cinq mille euros.

-      C’est insensé ! tu me dis que tu n’as pas besoin d’argent et tu me réclames cinq mille euros. Explique-toi, enfin. 

-       Il n’y a pas d’explication. Je veux cinq mille euros, un point c’est tout. 

-       Tu parles comme une enfant de trois ans capricieuse et entêtée. Et pourquoi te donnerai-je cet argent, dont je ne dispose d’ailleurs pas. 

-       Pour ça ! dit-elle en déposant une enveloppe sur la table.

 

Bruno la regarda d’un air méfiant et dubitatif et prit l’enveloppe qu’il ouvrit. Il en retira une photo les représentant à la terrasse du café. Il en saisit une autre sur laquelle il figurait nu dans le lit de l’auberge, puis une troisième montrant Jenny en train de lui pratiquer une fellation. Il ne comprenait toujours pas.

 

-     Ce sont les photos que tu as prises la semaine dernière, elles ne sont pas à mettre entre toutes les mains bien sûr, mais elles sont très réussies ma foi. Où veux-tu en venir ? 

-      Tu viens de dire toi-même qu’elles n’étaient pas à mettre entre toutes les mains et tu as raison. Il y a des mains dans lesquelles tu n’aimerais pas qu’elles fussent, dans celles de ta femme par exemple ! 

-       Qu’est-ce que ma femme a à voir là-dedans ? 

-    Si tu persistes dans ton refus de me donner l’argent, demain ou après-demain, elle les recevra dans son courrier ! 

-       Mais c’est du chantage ! Tu n’es qu’une infâme salope ! s’écria Bruno rouge de colère, les yeux exorbités, levant la main comme s’il allait la gifler. 

Jenny ne broncha pas et soutint son regard.

 

-    De toute façon je l’ouvrirai avant elle et tes menaces ne m’intimident pas. Fous-moi le camp, je ne veux plus te voir ni entendre parler de toi. Fous le camp immédiatement te dis-je ! 

Il prit les photos et les déchira en petits morceaux qu’il lança dans le caniveau. Jenny le regardait faire en souriant et dit :

 

-       Petit crétins, ces photos je peux en tirer autant qu’il faudra et même les mettre sur internet ! Quant à ta femme elle les recevra au 35 de la rue des Plantagenets, siège de BâtiEco, apportées par un coursier, on ne sait jamais avec la poste !

 

Bruno était anéanti et ne réagit pas. Jenny reprit son casque qu’elle avait déposé sur une chaise et partit tranquillement, non s’en lui dire qu’elle reviendrait dans huit jours toucher son argent.

 

Les idées se précipitaient dans la tête de Bruno. Il fallait qu’il réagît et qu’il fît face lucidement face à ce cataclysme qui le submergeait à l’improviste, tel un ouragan subit. Sa décision fut prise en une minute. Il déposa un billet de vingt euros sous son verre afin de régler sa consommation et courut derrière Jenny. Quand il arriva au coin de la rue où elle avait disparuiol la vit qui  marchait sans se presser à cinquante mètres devant lui. Il la suivie à distance en veillant à ce qu’elle le vît pas. Elle arriva en vue de sa moto, déverrouilla son antivol, mis son casque, démarra sa machine et partit dans un bruit de pétarade, en se faufilant dans la circulation assez dense à cette heure. Malheureusement Bruno était trop loin pour lire son numéro d’immatriculation, qui lui aurait permis de l’identifier en faisant une fausse déclaration d’accident à sa compagnie d’assurance.

 

Il revint découragé à sa voiture, quand une idée germa dans son esprit. Elle se garerait probablement encore sur cet emplacement réservé aux véhicules à deux roues quand elle reviendrait la semaine suivante. Il n’aurait alors qu’à la suivre jusqu’à son domicile. Il rentra chez lui, l’espoir revenu.

 

Le jour du rendez-vous venu, elle arriva, ponctuelle. Il l’attendait assis à la même place, un peu tendu. Elle refusa de s’asseoir et dit :

 

-       J’espère que tu m’as apporté ce que je t’ai demandé. 

-       Ton délai était trop court et je n’ai pu réunir la somme totale. J’ai seulement mille euros, je te remettrai le reste dans huit jours. 

Il tira de sa poche une enveloppe qu’il lui tendit. Elle la pris sans l’ouvrir et dit :

 

-       Ecoute, je veux bien encore patienter une semaine, mais c’est mon dernier avertissement, n’essaie pas de jouer au plus fin avec moi, tu sais ce qui t’attend ? 

-       Tu auras le reste la semaine prochaine, c’est promis. 

-       A la semaine prochaine, même heure.

 

Jenny tourna les talons et partit sans un au revoir. Il la laissa passer le coin de la rue, puis par un raccourci courut à sa voiture stationnée à quelques mètres de la moto dont il put lire le numéro d’immatriculation ; il le mémorisa à tout hasard, mais il n’en aurait probablement pas besoin. Jenny apparut au bout de quelques minutes ; démarra sa moto et s’engagea dans la circulation. Il s’agissait de ne pas la perdre de vue. Il démarra à son tour. Si ses prévisions étaient bonnes, elle prendrait l’autoroute A 42. C’est ce qu’elle fit, mais dans la direction opposée,  vers Macon, contrairement à ses conjonctures. Cela risquait de remettre en cause son plan mais il n’avait pas d’autre alternative que de la suivre. A Macon elle bifurqua par l’A6, vers Lyon. La circulation était fluide et il n’avait aucune peine à la garder en ligne de mire, d’assez loin pour ne pas être repéré. Elle franchit le péage de Villefranche et continua vers le sud. A l’approche de Lyon il réduisit la distance qui les séparait pour ne pas être pris de court si elle s’aventurait dans la ville.

 

Elle sortit de l’autoroute aux Portes de Lyon et s’engagea dans un dédale de petites routes qui devaient lui être familières, où il peinait à la suivre. Son GPS lui indiqua qu’il se trouvait sur la commune de Dardilly. Elle entra enfin dans un lotissement de maisons récentes et cossues. Elle s’arrêta devant un portail, sonna, et attendit tout en se débarrassant de son casque. Une femme vint lui ouvrir, qu’elle embrassa et qu’elle suivit jusqu’à la maison. Sa moto était restée sur le trottoir, ce qui lui laissa espérer qu’elle repartirait bientôt.

 

Il descendit de voiture et s’aventura jusqu’au portail pour lire la plaque d’identité de l’habitante. Il lut : « M. et Mme Fernand Cluzier ». Il revint à son véhicule, prit la précaution de la tourner en direction de la sortie du lotissement, et attendit l’œil fixé sur la porte d’entrée de la villa.

 

Il vit bientôt les deux femmes sortant de la maison et se dirigeant vers le portail. Elles s’embrassèrent en disant quelques mots qu’il ne pouvait entendre, puis Jenny enfourcha sa moto et se dirigea vers la sortie du lotissement. Bruno mit le contact et démarra derrière la moto qui prit le chemin inverse qu’à l’aller. Elle s’engagea ensuite sur l’autoroute en direction de Lyon, franchit le tunnel sous Fourvière, traversa le Rhône et emprunta l’avenue Berthollet, remonta l’avenue Mermoz et se retrouva sur l’A43 au grand soulagement de Bruno qui conjectura qu’elle rentrait chez elle à Grenoble. Il la laissa prendre une centaine de mètres d’avance jusqu’au péage pour ne pas être remarqué.  Il se rapprocha après le péage et la suivit par un dédale de rues. Elle finit par s’arrêter devant un portail qu’elle ouvrit et alla remiser sa moto devant son garage. Elle entra dans la maison et quelques instants plus tard la porte du garage s’ouvrit de l’intérieur, elle sortit pour rentrer sa moto et referma la porte de l’intérieur. Il la vit ensuite ouvrir les volets. Il s’apprêtait à partir après avoir noté l’adresse sur son GPS, quand elle franchit le portillon, un sac à provision à la main. Elle allait donc faire des courses dans le quartier, sans doute à la supérette voisine dont il apercevait le panneau publicitaire. Il hésita un moment sur la décision à prendre. Après réflexion il prit le parti de rentrer car il savait maintenant ce qu’il lui restait à faire.

 

 

 

 

 

Chapitre 9

 

 

 

Le commissaire Bourgeois, assis derrière son bureau, était perdu dans sa rêverie. Il songeait à son prochain week-end en Suisse. Juliana serait-elle au rendez-vous ? Il l’espérait sans trop y croire. Une pareille apparition ne survient pas deux fois de suite dans une vie. Comme le Grand Meaulnes, retrouverait-il son Yvonne de Galais ? Il sourit de cette comparaison ridicule. Il n’était plus, depuis longtemps hélas ! l’adolescent acnéique qu’il avait détesté, et Maria n’était pas une vierge effarouchée et romantique ! La sonnerie stridente du téléphone le ramena à la réalité.

 

-       Allô, Bourgeois ? Ici Gragnier. 

-       Salut, heureux de t’entendre. Tu vas bien ? 

-       Je te remercie, mais je t’appelle pour t’annoncer que j’ai reçu une note adressée à toutes les gendarmeries de Rhône-Alpes, leur demandant de signaler toutes les déclarations de disparitions depuis un an, même celles qui n’avait pas fait l’objet officiellement de recherches. On vient en effet de découvrir le corps d’un inconnu dans un bois de la région de Grenoble. J’ai pensé que l’information pouvait t’intéresser car, si je me souviens bien, l’amie de madame Cluzier est grenobloise ? 

-       Tu vas peut-être un peu vite en besogne, non ? Si j’ai bien compris le corps n’a pas encore été identifié; de là à conclure qu’il s’agit de celui de Fernand, et que madameDesanges est impliquée, il y a un grand pas que pour ma part j’hésiterais à franchir aussi rapidement. 

-       En tout cas je reprends le dossier et j’ouvre une enquête. Dernière information : le corps a été déposé à l’institut médico-légal de Lyon aux fins d’identification, ce qui semble-t-il ne sera pas facile car il serait dans un état de décomposition avancée. 

-       Merci de m’avoir prévenu et tiens-moi au courant si tu as du nouveau. 

-    Je compte aussi sur toi si tu apprenais quelque chose de nouveau, conclut Granier qui raccrocha.

 

Cette conversation laissa le commissaire Bourgeois songeur. Quoi qu’il en ait dit, Granier n’avait peut-être pas tort de faire le lien avec la disparition de Fernand. Le lieu de la découverte du corps était un indice troublant et dirigeait les soupçons tout naturellement sur Marguerite Desanges. Mais quelles raisons avait-elle d’assassiner Fernand ?  Tout ça n’avait aucun sens. Tant que le corps n’aurait pas été identifié formellement comme celui de Fernand (à supposer qu’il s’agisse de lui), mieux valait s’abstenir d’hypothèses hasardeuses. Pourtant malgré lui le doute s’était insinué dans son esprit. Mais si c’était Solane l’instigatrice ? Après tout elle avait plus de motifs que Marguerite à faire valoir. De toute façon elles ne pouvaient être que complices, car une fois Fernand éliminé elles avaient l’une et l’autre le champ libre. Mais payer cela d’un crime aussi abominable, était-ce  possible, était-ce seulement pensable ? Il ne pouvait le croire. Il y avait pourtant les photographies de Marguerite qui la montraient sous un jour inquiétant et qui auraient décuplé les soupçons de Granier s’il en avait eu connaissance. Son ignorance n’était que temporaire car la première chose qu’il ferait serait de perquisitionner chez les deux femmes. Nul doute qu’il remonterait facilement jusqu’aux hommes qu’elle avait rançonnés et Dieu sait quels drames cela déclencherait, alors qu’ils devaient être tout à fait tranquillisés à présent !

 

Sorti de ses réflexions le commissaire décrocha son téléphone et appela l’institut médico-légal. Il demanda à parler au docteur Trubach. C’était le médecin directeur de l’institut qu’il connaissait pour avoir eu affaire avec lui à l’occasion de ses enquêtes et avec qui il avait des relations cordiales. 

-       Allô, Bourgeois ? Quel bon vent vous amène ? Il y a bien longtemps que je ne vous ai pas vu dans les parages. Vous allez bien ? Une affaire en cours ?

-       Oui… non… c’est très compliqué à expliquer. Disons que je m’intéresse officieusement à une enquête qui n’est pas de mon ressort.

-       Vous vous mêlez d’une histoire qui ne vous regarde pas, plaisanta le docteur, c’est bien de vous. Alors dites-moi tout, je suis tout ouïe et prêt à vous aider si c’est dans mes possibilités.

-       Je n’en attendais pas moins de vous car je connais votre amabilité proverbiale, répliqua Bourgeois. Voilà, vous avez reçu le corps d’un inconnu qui pourrait être une de mes connaissances.

-      Précisez, car des cadavres j’en reçois tous les jours et parfois il en pleut comme à Gravelotte ! et c’est le cas ces jours-ci, il y a une véritable épidémie d’accidents, de morts subites et autres joyeusetés !

-       Il s’agit d’un cadavre découvert dans un bois de la région grenobloise, un homme d’une quarantaine d’années, si c’est mon homme.

-       Je vois, j’en ai fait l’autopsie pas plus tard que ce matin. Il sera difficile à identifier car il n’est pas très frais le bonhomme ! Enfin j’ai quelques indices qui pourront aider.

Le commissaire se garda bien de questionner le médecin car il savait qu’il ne lui révélerait rien par téléphone et celui-ci lui saurait gré de ne pas être indiscret.

-       Ca me ferait plaisir de vous rencontrer lui dit-il, demain par exemple. 

-      Moi aussi je serai ravi de vous revoir. Est-ce que demain matin ça vous va ? J’ai un créneau vers onze heures et une bouteille de whisky au frais ! 

-       C’est parfait. Merci encore et à demain. 

-       A demain donc.

 

Le commissaire se présenta à l’heure convenue et fut reçu très chaleureusement par le docteur Trabuch. Il le fit entrer dans son bureau et la première chose qu’il fit fut de préparer deux verres qu’il remplit généreusement de whisky.

 

-       A la vôtre ! C’est du bon, un Glenn Morangis de derrière les fagots, que j’ai ramené d’Ecosse l’année dernière. Vous devriez venir plus souvent, la bouteille n’est pas fille unique ! Qu’est-ce que vous pensez de ce petit goût de tourbe ? Juste ce qu’il faut, une légère touche pour flatter le palais sans l’empâter. Et votre femme elle va bien ? Toujours aussi belle, j’en suis sûr, et je suis un connaisseur en la matière, il n’y a pas que les macchabées qui m’intéressent et je ne suis pas nécrophage comme on soupçonne la plupart des légistes ! Je préfère la chair fraiche ! Pardon, je ne parlais pas de votre femme, la femme d’un ami c’est sacré ! Oh la la, que je suis maladroit ! je suis incorrigible et je sens que je m’enferre un peu plus en voulant m’excuser. Mais vous me connaissez et vous ne m’en tiendrez pas rigueur j’espère. Maudit whisky ! Il faut bien trouver un bouc émissaire, hein ?

Le docteur Granier était intarissable et Bourgeois se gardait bien de l’interrompre, trop heureux de le voir en si bonnes dispositions.

-       Je sens que je vous ennuie avec mes élucubrations. Ne m’avez-vous pas dit hier que vous vous intéressiez à l’un de mes pensionnaires ? 

-       En effet, un de mes voisins et ancien collègue de lycée a disparu il y a près d’un an et j’ai certaines raisons de croire que se pourrait être lui qu’on a retrouvé du côté de Grenoble, tout en espérant me tromper. 

-       Je peux vous le montrer mais je vous déconseille vivement d’accepter ma proposition. Le cadavre est peu ragoûtant et méconnaissable. Je l’ai autopsié et je crois pouvoir dire qu’il a subi un traumatisme crânien. Pourtant je ne crois pas que ce soit la cause de sa mort. Je pense qu’il est mort asphyxié.

Le médecin se lança alors, pour étayer son hypothèse, dans un exposé technique dépassant les capacités de compréhension du commissaire qui l’écouta patiemment, feignant un intérêt soutenu.

-       Asphyxie de quelle origine ? Je ne saurais le dire précisément. En tout cas pas par noyade car il n’y a pas une goutte d’eau dans ce qui lui reste de poumon, ni par strangulation dont il n’existe aucune trace. Imaginez vous-même d’autres méthodes ; vous en aurez vite fait le tour. Je parie sur le coup de l’oreiller : méthode simple, propre, non sanglante, minimum d’accessoires; technique à la portée du premier venu, ne demandant pas une force herculéenne, surtout si la victime est déjà plus ou moins estourbie comme il y a tout lieu de le penser dans le cas présent. L’enfance de l’art quoi ! Simple hypothèse bien sûr, mais qui ne manque pas de pertinence jusqu’à preuve du contraire. Quant à l’identification, elle ne sera pas facile vu l’état du corps. (L’auteur du présent récit se doit de préciser, qu’à l’époque où se passaient les événements relatés, l’analyse génétique était inconnue.) Le seul élément tangible est l’existence d’une prothèse dentaire, mais s’il faut interroger tous les dentistes de France et de Navarre, ça risque d’être long. Vous avez là le corps du délit, dit-il en montrant la prothèse déposée dans un bac en plastique, ainsi que les radios de la mâchoire de l’intéressé, qu’il disposa sur le négatoscope qu’il illumina. Voilà tout ce que je peux vous montrer de concret.

Le commissaire retenait son souffle. Il avait là devant lui un objet qui apporterait une réponse à toutes ses questions. Il trépignait d’impatience mais il lui faudrait attendre que Granier ait pris connaissance du dossier pour que la vérité éclate. Il ne serait d’ailleurs pas mécontent de le devancer ! Il se risqua à dire :

-       Bien entendu vous ne pouvez pas me confier la prothèse, même pour une heure ou deux ?

-       Bien entendu, répliqua le légiste et je le regrette. Strictement forbidden mon ami ! Je ne peux la confier qu’aux autorités judiciaires qui m’ont requis. Si elle tombait dans des mains étrangères, ce serait à mon insu, et pour qu’une telle mésaventure ne se produise pas, je m’en vais sur le champ la mettre en lieu sûr.

C’est alors que le médecin consulta sa montre et s’écria :

-       Oh la la… j’allais oublier, j’ai un coup de fil urgent à donner. Excusez-moi un instant, je reviens dans une minute.

Le commissaire comprit tout de suite le stratagème qui consistait à le laisser seul quelques instants en présence du précieux objet. Ô ! le brave camarade qui venait à son secours mine de rien ! Il ne perdit pas de temps, sortit son portable de sa poche et photographia la prothèse sous toutes les coutures, ainsi que les radiographies. Quand le docteur Granier revint, il regardait les gravures qui ornaient les murs du bureau.

-       Elles sont belles, hein ? Un cadeau de mes collègues pour mes cinquante ans. Ils ne se sont pas fichus de moi, n’est-ce pas ? Je les aime beaucoup ces gravures et je les aurais volontiers emportées chez moi. J’ai considéré que c’était plus élégant de ma part de les exposer ici. 

-       J’ai été très heureux de vous revoir déclara Léon, en prenant congé de Tubach. Je vais demander à Maria d’organiser un petit souper en votre honneur un de ces soirs, elle sera ravie de vous rencontrer. Au fait, ajouta-t-il, ma visite d’aujourd’hui avait un caractère strictement privé.

-       C’est bien comme ça que je l’entendais, répondit Granier en souriant. Et merci encore pour l’invitation !

Sitôt de retour à son bureau Léon téléphona à Solane pour lui demander si Fernand portait une prothèse dentaire, et si c’était le cas, qui était son dentiste.

-   Pourquoi me posez-vous toutes ces questions ? s’exclama Solane dont il perçut l’inquiétude au timbre inhabituel de sa voix. Vous avez du nouveau ?

      - Peut-être, je ne sais pas encore et je ne peux rien vous dire de précis. Soyez sans crainte, je vous tiendrai au courant. Mais vous ne m’avez pas répondu.

- C’est le docteur Drumière, un stomatologue ; il lui a posé un bridge il y a deux ou trois ans de ça; il a son cabinet à Lyon. Mais pourquoi cette question ? C’est important ? Je sens que vous me cachez quelque chose. Répondez-moi ! J’ai bien le droit de savoir, non ?

- Ne vous inquiétez pas. Je veux simplement vérifier un petit détail. Vous savez dans la police on est un peu tatillon. Je vous jure que je vous tiendrai au courant si j’ai des informations nouvelles et fiables, mais ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui. Allez, je vous laisse, à bientôt.

Le commissaire raccrocha. Il laissait sciemment Solane dans l’incertitude, espérant secrètement que l’inquiétude croissante la ferait craquer. Jouer avec les nerfs des suspects est une technique éprouvée.

Il demanda au planton de service de lui apporter l’annuaire téléphonique. Il eut vite trouvé l’adresse et le téléphone du cabinet du Dr Drumière. Il appela et se présenta à la secrétaire et lui demanda un rendez-vous. Après quelques minutes d’attente la secrétaire lui dit que le docteur pouvait le recevoir le lendemain après son cabinet.

 

A suivre.

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