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3 juin 2010 4 03 /06 /juin /2010 17:27

 Je publie un extrait de la lettre que j'ai adressée à Michel Onfray au sujet de son dernier livre, Le crépuscule d'une idole. Cela a été l'occasion pour moi d'exprimer mon opinion sur une discipline que j'ai connue de l'intérieur, que j'ai considérée comme science psychologique véritable au début, mais dont je me suis par la suite peu à peu détaché, considérant qu'elle n'avait aucun fondement scientifique sérieux et que ses concepts ressortissaient plus de la métaphysique que de la science.

Pour une meilleure compréhension de cette lettre la lecture du livre d'Onfray, sans être indispensable, est recommandée.


 Bravo pour le coup de pied que vous assenez dans la fourmilière psychanalytique dans votre livre le crépuscule d’une idole. J’applaudis des deux mains à votre entreprise de démystification. A quelques détails près je souscris entièrement à ce que vous écrivez. Comme j’ai vécu la psychanalyse de l’intérieur, il est au moins un argument qu’on ne pourra pas m’opposer : c’est celui qu’on vous a jeté à la figure récemment sur un plateau télévisé de ne pas avoir fait une psychanalyse. C’est l’argument massue qui clôt toute discussion. Drôle de science que celle qui n’est réservée qu’aux initiés ! Que la psychanalyse ne soit pas une discipline scientifique, Popper l’avait déjà dit, la mettant dans le même sac que le marxisme, ce en quoi il avait peut-être tort, car l’épreuve de la réalité a suffit pour « falsifier » ce dernier. Mais la psychanalyse, elle, est irréfutable si l’on ne s’attaque pas à la racine de son corpus doctrinaire pour montrer son inconsistance scientifique; sinon autant essayer de réfuter un conte de fée; c’est la raison pour laquelle elle continue de prospérer. Je trouve même que vous faites beaucoup d’honneur à Freud en le qualifiant du titre de philosophe, puisque vous démontrez de façon convaincante qu’il a emprunté tous ses concepts à Empédocle, Kant, Schopenhauer, etc., et surtout à Nietzsche, et que vous en faites finalement un plagiaire qui ne révèle pas ses sources, en un mot tout sauf un philosophe à qui l’on demande quelques idées personnelles. Il a fait essentiellement œuvre littéraire autobiographique, sans prétention philosophique, comme vous le soulignez vous-même. Autant lire les bons auteurs, on aura en prime le plaisir que procure une œuvre littéraire bien écrite…

J’ai entrepris mes études de psychiatrie dans les années soixante, époque où la psychanalyse régnait toute puissante – du moins en France – sur le microcosme psychiatrique. J’ai fait une psychanalyse personnelle pendant quatre ans (une misère !) avec un freudien tout ce qu’il y a d’orthodoxe, puis deux ans de psychodrame psychanalytique de groupe avec des lacaniens qui avaient une autre ouverture d’esprit et dont la doctrine ne transparaissait guère dans leur pratique…. Celle-ci s’apparentait à une analyse psychologique classique et j’en ai gardé un bon souvenir. (Comble de l’hétérodoxie il leur arrivait même de faire crédit à des étudiants impécunieux !) C’est dire que ma pratique professionnelle de psychothérapeute (non exclusive car j’avais une activité clinique importante) a été très influencée par ce contexte. Pourtant je suis toujours resté très méfiant concernant beaucoup de points de doctrine; seulement je n’avais pas la culture philosophique suffisante pour en faire la critique. En particulier, je n’ai jamais admis complètement le concept d’inconscient que je récuse totalement maintenant.  Freud en a fait sa chose en soi, mais contrairement à Kant qui la déclare inconnaissable puisqu’elle est en dehors du temps et de l’espace (ce qui est tout de même un peu fort de café !) et qui n’en dit rien de plus, à Schopenhauer qui l’assimile à la Volonté et peut donc se targuer d’en avoir une certaine connaissance puisqu’il en fait l’expérience interne, il déclare l’inconscient  inconnaissable tout en n’arrêtant pas de gloser sur lui; il est inconnaissable mais il en décrit la structure et le fonctionnement ; il n’est pas dans l’espace mais il a une topique (je pense surtout à la deuxième); il est inconnaissable mais il « parle » (il est structuré comme un langage dira Lacan) avec ses interprètes : des ventriloques hystériques, des prêcheurs obsessionnels plus ou moins paranoïaques, des vaticinateurs psychotiques et des névrosés lambdas, vous et moi, dont l’inconscient étriqué ne se révèle que par de petites manies ou des gestes anodins, des phobies ordinaires, des somatisations hystéroïdes sans gravité, des tendances obsessionnelles utiles, des mots d’esprit ou des plaisanteries plus ou moins  grivoises, de petites perversions tolérables socialement, etc., et puis il y a l’élite des initiés dont le gourou leur a permis d’être au clair avec leur inconscient et de se débarrasser  de leur névrose. Ce qu’il y a d’extraordinaire dans tout ça, c’est que cette instance quasi physiologique ne s’exprime que sur un mode pathologique !

La vérité est que l’inconscient est un mythe, une construction métaphysique et qu’il n’a pas plus de consistance ontologique que n’en a le conscient d’ailleurs. Il n’y a que des êtres conscients, capables de se faire une représentation du monde plus ou moins étendue et dont certains ont la faculté de pouvoir la communiquer par des idées au moyen du langage. Je ne nie pas qu’une grande partie de ce qui constitue le psychisme ne soit pas conscient, mais non conscient ne veux pas dire inconscient. Je n’ai pas conscience des ondes électromagnétiques qui m’environnent, elles ne sont pas inconscientes, elles n’ont tout simplement pas accès à ma conscience. De même, si je n’ai jamais à l’esprit l’ensemble de mes souvenirs, ils ne sont pas pour autant inconscients. Tant que je ne me les remémore pas ils n’existent pas en tant que tels et ne sont pas opérants. Il faut qu’une activité cérébrale les fasse surgir car ils ne sont pas stockés dans le cerveau à la manière d’une image sur une pellicule cinématographique. La comparaison avec un DVD serait plus appropriée : aucune image n’est enregistrée sur le disque, mais une série de creux et de bosses qui seront convertis en langage binaire que la machine devra interpréter et transformer en signaux visuels et sonores. C’est un processus un peu similaire qui se passe dans le cerveau et qui met en jeu des circuits neuronaux complexes, processus physiologique dont nous commençons à peine à entrevoir le fonctionnement. Ce que je veux dire c’est que ce ne sont pas des souvenirs que le cerveau enregistre, mais des informations qui seront ultérieurement restituées par un processus cérébral actif, sous la forme de souvenirs conscients. Ceux-ci, aussi anciens soient-ils, n’existent qu’au présent et tant qu’ils ne sont pas présentifiés, c’est à dire rendus présents à la conscience, ils n’ont pas d’existence et ne peuvent donc avoir une influence psychologique qu’elle soit consciente ou inconsciente. La grande difficulté est ce passage mystérieux du physiologique au psychique, c’est à dire à la pensée. Invoquer un refoulement inconscient imaginaire pour expliquer pourquoi nous n’arrivons pas à nous souvenir d’un mot par exemple, c’est masquer notre ignorance par un autre mot qui n’explique rien, car on ne voit pas ce qui conditionne ce refoulement. On fait de l’inconscient une sorte d’activité psychique bis, dotée d’un fonctionnement autonome à caractère psychologique mais totalement illogique, sécrétant des pensées (qui sortent d’où ?) qui sont les pensées du sujet mais dont celui-ci n’a pas la moindre connaissance ! Pensées “inconscientes” qui le déterminent (par quelle logique ?) en influençant ses pensées conscientes dont il a la préscience quasi divine, par un mécanisme inconnu et incompréhensible. Mon poil se hérisse quand j’entends parler de « pensées inconscientes» (je n’invente rien !). C’est une expression oxymorique totalement absurde. On tolère la licence de l’obscure clarté du poète, mais la licence n’est pas de mise en science. Le propre de la pensée est d’exprimer des idées claires et distinctes, comme diraient nos philosophes cartésiens, et je voudrais bien qu’on me dise ce qu’est une idée inconsciente ! Pourquoi pas un aveugle voyant ou un sourd entendant, une saveur insipide ou un arôme inodore ?

On assimile aussi bien souvent inconscient et automatisme. Dans son livre Qui suis-je, et si je suis, combien ? le philosophe allemand R. D. PRECHT consacre un chapitre à la psychanalyse (preuve qu’il la tient pour une philosophie, bien qu’il lui attribue, dans un mélange des genres dont il n’a pas conscience, un fondement scientifique). Il donne comme exemple d’un comportement inconscient, la conduite automobile. Ce faisant il confond inconscient et automatisme. Si je ne suis pas conscient de tous les gestes que j’effectue en conduisant une automobile cela ne veut pas dire qu’il y a un inconscient tapi je ne sais où qui conduit à ma place. A ce compte il faudrait doter d’un inconscient les machines qui remplacent avantageusement l’homme dans certaines circonstances (pilotage automatique des avions et des métros par exemple). Le livre de Precht mériterait qu’on s’y arrête plus longuement car il est caractéristique de la confusion qui s’empare des esprits dès qu’il est question de psychanalyse. Il écrit (page 91) : « La psychanalyse n’est pas une science mais une méthode. Il n’est pas possible de vérifier ses hypothèses de façon scientifique ». Mais quelques lignes plus bas, après des considérations neurologiques fantaisistes (on y apprend par exemple que la conscience est située dans le cortex associatif et l’inconscient dans le tronc cérébral et le télencéphale...), il affirme péremptoirement : « D’un point de vue anatomique il est donc très facile de distinguer le conscient de l’inconscient. » ! Ainsi une méthode déclarée non scientifique reçoit malgré tout une caution scientifique et l’inconscient a trouvé sa glande pinéale ! A quand la découverte du centre du complexe d’Œdipe par un nouveau Broca ou les scanners et les IRM de l’inconscient ? Precht est le jouet de son imaginaire. On appelle souvent la psychanalyse psychologie des profondeurs ; alors il prend la métaphore à la lettre, enfouit l’inconscient dans les profondeurs du cerveau et le conscient dans les couches supérieures… A l’inconscient l’obscurité, au conscient la clarté ! Pourtant Precht, que je ne connaissais pas avant d’avoir lu son livre, est présenté comme un philosophe sérieux et expose dans son livre des thèses plutôt rationalistes quand il se cantonne à sa spécialité. Mais les concepts psychanalytiques ont tellement été martelés et vulgarisés depuis plus d’un siècle qu’ils apparaissent comme des acquis scientifiques définitifs.

Venons-en au rêve, la voie royale pour explorer l’inconscient selon Freud. (Je trouve très juste votre formule selon laquelle cette voie royale mène avant tout à l’inconscient de l’interprète…) Que le rêve reflète le psychisme de l’individu qui rêve, c’est une évidence. Quoi d’étonnant à cela ? C’est le fonctionnement du même organe qui est en cause. C’est à tort que l’on compare la mort à un sommeil éternel. Le cerveau mort n’est le siège d’aucune activité. Dans le sommeil le cerveau est actif et il manifeste même une hyperactivité paradoxale dans le rêve, dans les deux cas la conscience n’est pas complètement abolie. Mais elle est suffisamment obnubilée pour ne pouvoir exercer le pouvoir de contrôle qu’elle détient en temps normal. De là les incohérences du rêve. J’ai pris pour habitude d’analyser mes rêves quand ils me turlupinent au réveil. Le terme d’analyser n’est d’ailleurs pas très approprié. Il s’agit simplement de retrouver le fil conducteur qui a conduit au récit onirique, en partant de ce que Freud lui-même appelait les restes diurnes. Cela m’éclaire d’une manière rationnelle sur mes préoccupations et leurs liens avec des événements antérieurs que je n’avais pas perçus sur le moment parce que je n’avais pas fait le travail intellectuel que le rêve m’a incité à effectuer secondairement. Je n’ai nul besoin de faire appel à un refoulement levé en profitant de la défaillance d’une censure morale ensommeillée qui penserait à ma place…). Je suis bien payé pour savoir (je devrais dire j’ai bien payé pour… ) que les psychanalystes ne travaillent que sur du matériel conscient - et comment pourraient-ils faire autrement ? – et que leurs interprétations sont à géométries variables et incontrôlables, infalsifiables disait Popper. L’amour et la haine se combattaient aux dires d’Empédocle, ils sont interchangeables pour nos psychanalystes et c’est bien pratique. Il est alors facile de sortir de son chapeau l’interprétation idoine quitte, par un renversement dialectique que je n’ose qualifier d’hégélien ! de donner l’interprétation contraire si le patient a l’impudence de contester, preuve à l’appui, la pertinence de la première. Les voies du Seigneur sont impénétrables …J’ai, sur mon blog, tenté l’analyse d’une phrase énigmatique que ma petite-fille avait écrite à son père à l’occasion de son anniversaire. J’ai proposé trois interprétations et je disais ma préférence pour la dernière. Mais j’ai pris soin de conclure mon article par les phrases suivantes : « Je risque cette interprétation tout en sachant pertinemment que toute interprétation n'épuise pas son sujet, qu'elle est toujours parcellaire, incertaine et contestable et qu'elle n'exclut pas complètement les deux autres hypothèses, les trois n'étant pas incompatibles. A moins que la vérité ne se situe encore ailleurs...». Je n’ai fait appel à aucuns des concepts de la panoplie psychanalytique tels qu’inconscient, refoulement, désir incestueux, complexe d’ Œdipe ou autres fariboles; j’ai simplement essayé d’imaginer ce que ma petite-fille avait pu penser en écrivant sa lettre, sans lui demander d’explications, considérant qu’il s’agissait de son jardin secret et que ça ne me regardait pas. Mes interprétations sont donc éminemment hypothétiques, subjectives, conjecturales et discutables. C’est le lot de toute interprétation, encore plus si elle prend pour bases des concepts douteux. C’est un exercice littéraire plus que scientifique.

 

Je voudrais dire un mot sur le fameux complexe d’ Œdipe. D’abord en soulignant qu’il dénature complètement le sens du mythe antique. Œdipe n’a jamais désiré sa mère, ni voulu tuer son père, pour la bonne raison qu’il ne les connaissait pas et ne savait pas que Jocaste était sa mère et Laïos son père (nos psychanalystes auraient beau jeu de dire  qu’il le savait … inconsciemment; allez donc argumenter après ça !). Le vrai sens du mythe est un thème stoïcien récurrent, l’inéluctabilité et l’inexorabilité du destin que les dieux ont entre leurs mains et auquel il est impossible d’échapper quoi qu’on fasse. On est loin des fantasmes sexuels de Freud du petit garçon désirant coucher avec sa mère et tuer son père ! Les sentiments d’hostilité que l’on rencontre assez souvent chez l’enfant à l’égard du père ont une origine plus prosaïque. Les conditions d’élevage font que les enfants en bas âge ont une relation privilégiée avec leur mère et que le père peut apparaître comme l’intrus qui trouble cette relation. Mais cette hostilité quand elle existe n’est pas permanente, ni propre au garçon ; elle concerne autant les filles. La version féminine du complexe d’Oedipe a d’ailleurs donné du fil à retordre aux psychanalystes et le complexe d’Electre n’a pas eu la même fortune que son homologue masculin. Sans compter qu’une hostilité peut-être justifiée par le comportement du parent et qu’elle peut aussi s’adresser à la mère. Pour en revenir à la sexualité des enfants la psychanalyse a eu le mérite de soulever le voile pudiquement posée sur cette question. La hiérarchie en trois stades est une description phénoménologique  recevable à la rigueur mais les conclusions qu’on en a tirées sont sujettes à caution. Que le nourrisson ait une activité orale prédominante n’implique pas une exclusivité libidinale de la fonction. Il ne faut pas oublier qu’il a des besoins énergétiques énormes et que s’il passe, entre deux sommes, la majeure partie de son temps à téter c’est que le malheureux a tout simplement faim ! Le nourrisson se livre aussi à des activités masturbatoires dont la charge libidinale semble plus indéniable. Suçoter le bout de son crayon quand on est adulte n’est pas un signe d’une régression orale évidente ! Si j’ai une fâcheuse tendance à la gloutonnerie et à l’obésité, on m’imputera une régression orale, mais si je suis un critique gastronomique de renom ou fin gourmet, on me gratifiera d’une sublimation orale réussie ! Que l’acquisition de la propreté constitue une phase du développement importante ne fait pas de doute, mais que ce stade structure toute une personnalité, cela demande pour le moins démonstration. Conclure que l’avare, un « constipé » du portefeuille, est fixé au stade anal, c’est une explication amusante et après ? Que la névrose obsessionnelle se traduise par des manies de vérification, d’obsession de la propreté, de méticulosité, de tendances au collectionnisme, etc., ne prouve pas son étiologie sexuelle et encore moins anale. La psychanalyse n’a jamais guéri la moindre névrose obsessionnelle, alors que les thérapies comportementales ont des résultats sans faire appel à l’arsenal psychanalytique. Qualifier les troubles intestinaux de Freud de psychosomatiques comme vous le suggérez est une supposition vraisemblable, mais conjecturale, car elle ne s’appuie sur aucune preuve. Etant données les conditions d’hygiène de l’époque, même chez les plus aisés, les troubles intestinaux étaient fréquents, notamment ceux d’origine parasitaire. L’on sait qu’il existe des troubles intestinaux fonctionnels sans signification psychologique. On sait aussi depuis les travaux de Selye que le stress peut provoquer des lésions organiques qui n’ont rien de spécifiques ; elles sont d’origine psychique certes, mais n’ont pas de spécificité psychologique permettant de les rapporter à une constellation psychologique significative.  En un mot, elles ne transmettent aucun message autre que la souffrance de l’individu. Le champ de la psychosomatique s’est d’ailleurs considérablement rétréci depuis deux ou trois décennies au fur et à mesure que l’on appréhendait mieux les étiologies réelles, et par exemple, pour n’en citer qu’un, le cas de l’ulcère d’estomac est caractéristique de l’évolution dans ce domaine. Quant au stade phallique, son angoisse de castration, la supposée revendication féminine pour cet organe et autres fantasmes de vagin denté, ça fait un bel effet littéraire et après ? Et pourquoi avoir fait précéder le stade génital d’une phase de latence alors que la curiosité des enfants pour la sexualité ne se dément pas tout au long de leur développement ? Et ceci pour au moins pour deux raisons, la première parce qu’ils sont curieux naturellement, la seconde parce que ce qui est plus ou moins caché excite la curiosité. Mais Freud apparaît un enfant de chœur à côté du délire interprétatif d’une Mélanie Klein qui lit dans la pensée des nourrissons comme une voyante dans le marc de café. Il y a aussi des imaginatifs débridés, les Rank, les Abraham, les Reich, etc., sans parler du marginal, sympathique au demeurant, Groddeck. Lui, au moins, annonce la couleur ; il écrit dans Le livre du ça, chapitre 2 : « Il nous est possible [] de pénétrer profondément dans l’inconscient quand nous nous résolvons non plus à « savoir », mais à « imaginer » (c’est moi qui souligne). On ne saurait être plus explicite.

 

Par contre je trouve votre assimilation des résultats de la psychanalyse à l’effet placebo à la fois trop bienveillante et réductrice. Trop bienveillante, j’y reviendrai plus loin. Réductrice, car l’effet placebo concerne la prise de médicaments et il est contestable de l’appliquer à un domaine qui n’est pas le sien. L’effet moteur des psychothérapies, quelle que soit leur inspiration théorique – à l’exception peut-être des thérapies comportementales à visée plus rééducative – revient surtout, selon moi, à un phénomène que  les psychanalystes  ont eu le mérite de mettre en évidence et de théoriser, je veux parler du phénomène de transfert et de son corollaire le contretransfert. C’est la tendance à projeter et à revivre des sentiments et des émois infantiles sur les personnes représentant l’autorité et considérés comme des substituts parentaux. C’est une conception contestable si l’on s’en tient à cette définition restrictive imprégnée de concepts psychanalytiques non validés. Ce qui l’est moins, c’est que tout individu a des patterns comportementaux qui ont tendance à se répéter et à perdurer. Or la situation psychothérapique est une véritable situation expérimentale où le patient aura tout naturellement tendance à répéter ses schémas relationnels habituels et où ils pourront être discutés et analysés, ce qui permettra au patient, ayant une meilleure compréhension de ses conduites, de changer son mode comportemental et de retrouver une mobilité relationnelle perdue, et partant de redistribuer les cartes avec son entourage, car la plupart des difficultés psychologiques sont des troubles relationnels. En ce sens la relation psychothérapique a des vertus pédagogiques. La pathologie mentale proprement dite n’est guère accessible à ce genre de thérapeutique. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille laisser le malade en dehors du champ psychothérapique car lui aussi est pris dans un réseau relationnel que la maladie perturbe encore plus. Mais il ne faut pas se tromper d’objectif. L’effet placebo transférentiel que vous mentionnez et dont je ne conteste pas qu’il puisse exister ne peut être que superficiel, très fugace et ne règle rien sur la durée. Alors que les effets d’une psychothérapie rationnelle sont durables.

Quand je disais que votre appréciation des résultats de la psychanalyse était trop bienveillante, c’est que je ne crois pas que la psychanalyse ait la moindre vertu thérapeutique, car ce n’est justement pas une psychothérapie rationnelle, c’est le moins que l’on puisse dire…  D’ailleurs les psychanalystes l’ont souvent eux-mêmes affirmé ! La guérison, si guérison il y a, vient « de surcroit » disait Lacan, c’est le cadeau  Bonux ! Car la psychanalyse ne s’abaisse pas jusqu’à la confrontation avec le réel, ce serait même une faute technique, un « acting out », elle ne s’occupe que du fantasme, c’est son domaine réservé. Elle est d’ailleurs à mon avis contre-indiquée pour des malades qui en ressortent bien souvent plus déboussolés qu’au commencement, quand on n’assiste pas à des bouffées anxieuses ou psychotiques en cours de route. Les psychanalystes affectionnent les bithérapies où le malade est confié à un psychiatre pour expédier les affaires courantes et le médicamenter si nécessaire, on ne sait jamais… La psychanalyse est réservée à des gens bien portants et suffisamment argentés, l’argent, c’est bien connu, étant un moteur de la cure très puissant… Ceux-ci se retrouvent, au mieux dans le même état qu’à leur entrée, au pire aggravés ou accros à la méthode, d’où ces analyses interminables réservées à une élite fortunée dont l’actualité fait parfois écho…

D’argent parlons-en. C’est un sujet qui fait retomber facilement sur terre nos psychanalystes, abandonnant sans complexe ( ?) le fantasme à son triste sort. Si l’on en croit l’équivalence symbolique entre les matières fécales et l’argent dont ils détiennent le secret, force est de constater qu’ils ont de fortes tendances coprophiles… J’entends encore, allongé sur le divan, le bruit des billets que je venais de donner à mon analyste pour prix de ses séances mensuelles et qu’il feuilletait discrètement dans mon dos… Son « attention flottante » avait trouvé un point de fixation ! Quand je l’ai rencontré pour la première fois pour un entretien préalable (je ne devais pas être un cas pendable puisque cet entretien préliminaire unique a suffit pour poser l’indication), il m’a communiqué ses tarifs, ce que j’ai trouvé normal. Quand à la première séance, quelques mois plus tard, il m’a rappelé le prix de sa prestation, je n’ai rien trouvé à redire, les bons comptes faisant les bons amis. Mais quand il a ajouté : « et vous en penserez ce que vous voudrez », j’ai été interloqué. A quoi rimait cette précision qui mériterait à elle seule une… analyse ? Une autre fois, manquant d’inspiration, j’évoquais les pièces de monnaie qui avaient dû glisser de ma poche pour se répandre sur le divan et je m’attendais à ce qu’il me laisse poursuivre mon verbiage, ne serait-ce que pour voir où mes associations me mèneraient. (Quelle belle occasion de perdue pour une magistrale interprétation du « cadeau » encoprétique, accompagnant ma « diarrhée » verbale, dont je lui faisais don si généreusement !). Mais non, foin du fantasme, retour à la saine réalité, il m’interrompit pour me dire que la femme de ménage nettoyait la pièce (pas de monnaie, bien sûr !) chaque soir et qu’elle avait dû empocher le magot. Délateur avec ça ! N’allez surtout pas montrer cette lettre au psychanalyste de service, il me taxerait d’une hostilité inconsciente mal liquidée à l’égard de mon analyste et il serait capable de me prescrire une nouvelle tranche d’analyse. Merci, j’ai déjà donné ! Je pourrais toujours lui rétorquer que je ne suis pas responsable de la fixation… anale de mon analyste, mais j’aggraverais mon cas par cette insistance suspecte, indice d’une “ résistance ” manifeste !

 

Ma lettre se poursuit mais sur un autre sujet sans rapport avec la psychanalyse et que je ne juge pas bon d'être publié ici.

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